Deux dans la splendeur nacrée des profondeurs de la nuit. Deux assises sur un muret au bord de la jetée. Deux femmes qui se parlent et qui s'observent, deux femmes qui se taisent et qui font passer leurs émotions dans leurs expressions. Deux qui se rencontrent pour la première fois. Deux. Seules. Deux que le froid enveloppe, avec une étrange chaleur, qui protège des audacieux qui viendrait troubler la paix sempiternelle de la nuit qui révèle ses secret. Plus belles que jamais, vacillantes sous les étoiles. Inaccessibles, redoutées. C'est l'impression qu'elles dégagent. L'océan devient noir pétrole, mais dans ce noir, des tâches blanches, synonyme, encore une fois, d'une pureté qui restera encore vierge de toute présence malsaine. Personne n'ose troubler les eaux noires de la mer. Personne. On préfère rester sur le bord de la jetée, à observer le temps qui s'écoule. L'homme n'a encore aucune prise sur le temps. Pas encore. Il sait s'y soumettre, mais il ne peut le dompter. Cette nuit sera plus longue que toutes les autres, car je prendrai le temps de peindre les traits de Luce. Elle est assise sur le bord du muret, elle est belle, dans ses vêtements simples qui la rendent plus éclatante. Elle accepte que je la dessine, la peigne, enfin, l'immobilise dans un instant qui peut rester dans sa mémoire, si elle le veut. C'est pour cela que j'aime l'art. Il grave dans les esprits les souvenirs qui tombent dans les endroits où l'on ne peut plus les chercher. Les artistes peuvent dompter le temps. Les hommes s'y soumettent.
- tu hésites ? s'il y a bien une chose que l'on doit redouter dans la vie, c'est l'hésitation. des fois, elle nous sauve, des fois, elle nous perd. réagis sous l'impulsivité quand tu penses que c'est nécessaire, mais n'hésite pas trop quand tu as deux choix.
Dans le dessin, et surtout la peinture, aucune erreur n'est tolérée. Un trait de pinceau déplacé, un coup de crayon trop appuyé, ils resteront sur le support pour toujours. On peut toujours le dissimuler. Mais le mieux, c'est de distribuer les traits sans réfléchir. On dessine, on ne pense plus. C'est simple. Je souris à mon modèle.
- assieds toi sous le muret. dans une position qui te plaît. goûte aux plaisirs de la vie en contemplant les constellations qui commencent à poindre.
Je prépare la toile, l'accroche comme à mon habitude sur le chevalet, installe ce dernier et prépare l'eau. Pas celle de la mer, oh, non, le vernis ne la digèrerais pas. L'eau douce, que l'on trouve dans les fontaines de la ville. Je devrais en dessiner une, un jour. Avec Luce, pourquoi pas ? Soudain, j'ai envie de dessiner Luce sous tous les angles, esquisser ses traits fins, coucher sur papier les courbures de son corps. Elle ferais un excellent modèle pour les artistes.
- tu es magnifique. dis moi, Luce, qu'est-ce que tu fais, en ce moment ?
Je pourrais rester des heures, toute la nuit à la croquer. Comme on dit, à la manger. Je vois les rayons de la lune qui s'affaiblissent, un nuage passe par dessous celle-ci pour cacher la lumière recherchée, mais il disparaîtra bien vite. Ma toile prête, mes outils favoris placés, j'inspire, et je plante mon regard dans celui de Luce. Non, vraiment, elle est belle. Elle l'est trop.