Cela faisait, quoi ? Trois mois, que le Midnight était ouvert ? Et c'était plutôt une réussite, j'étais assez fier de moi. La partie night-club en tout cas fonctionnait du tonnerre, mais dans un quartier comme Venice ce n'était pas étonnant. Les salons privés, en revanche, n'avaient pas encore le succès que j'escomptais. Pas facile de faire venir des vampires...
Les démarches avaient été longues pour ouvrir l'endroit. Déjà, il y avait eu toute la paperasse administrative humaine. Pas trop compliqué, quand on a de l'argent et des influences, mais c'était long. Puis il avait fallu réunir un peu la famille, convaincre quelques frères, cousins ou autres de venir filer un coup de main, et créer quelques serviteurs pour l'occasion... La plupart du personnel appartenait au clan. Même le "personnel" qui n'était pas visible, en tout cas pas à l'oeil nu, pas pour les mortels. Le genre de personnel asservi pour l'éternité bien utile pour calmer les petits malins venus pour foutre le bordel.
Mais le plus long, ça avait été d'obtenir les accords du Prince et de l'Archevêque, sans quoi je n'aurai jamais pu ouvrir l'établissement en toute sécurité. J'y étais finalement parvenu, après quelques services rendus, et la promesse de faire des salles à part pour les deux sectes. Imaginez le carnage si j'avais mis des sabbatiques et des camaristes dans la même pièce...
Bref, l'affaire était lancée ! Et au niveau vampirique, je n'avais pas encore beaucoup de clients... Il fallait le temps que les rumeurs se propagent, le bouche à oreille peut prendre du temps quand on dort toute la journée, et dans une ville aussi grande. Mais je ne désespérai pas, ça viendrait ! L'essentiel était que la partie humaine rapportait suffisamment pour qu'en une petite année le projet soit remboursé et devienne largement rentable.
Une nouvelle nuit où la fête battait son plein. Le dance-floor était plein à craquer, l'alcool coulait à flot, les barmen étaient débordés, le DJ s'excitait sur sa platine. Tout semblait aller comme sur des roulettes. Je faisais mon petit tour d'inspection habituel, et m'arrêtais pour discuter avec le petit personnel et quelques connaissances du milieu humain de la nuit. A priori, pas de nouveau client aux dents pointus à l'horizon.
Quoi que...
Ce fut l'un des serveurs qui attira mon attention sur elle. Il me désigna l'une des pistes de danse et me dit, le regard lubrique :
Hey patron, reluque la ptite black sur la piste 3 ! Joli déhanché !
Je la reconnus immédiatement. J'aurai repéré cette tignasse frisée entre cent. Et puis, il me semblait bien qu'elle portait les mêmes habits que lors de notre dernière rencontre dans le parc, il y a quelques mois... Je n'avais pas eu l'occasion de la revoir depuis, et pourtant j'y avais souvent songé.
La belle guerrière... en train de danser sur de la musique techno.
Surréaliste.
Elle me surprendra toujours.
Je souris au serveur avant de l'avertir :
C'est chasse gardée mon grand.
Et je m'avançais vers elle, indifférent aux protestations du barman.
J'entrais sur la piste alors que la musique s'arrêtait. J'avais quelques instants devant moi avant que le bruit ne couvre de nouveau toutes les conversations. J'arrivais dans le dos de l'Assamite, en songeant que dans d'autres circonstances ce genre d'approche aurait pu être suicidaire, et je lui glissais à l'oreille d'un ton taquin :
Je ne savais pas que tu dansais.