Il remua un doigt. Puis l'autre. Releva son buste. Finit par ouvrir les yeux. Il scruta le monde. Chaque détail. Où était-il ? Il passa ses mains endolories sur son visage usé par les âges. Sa longue barbe blanche s'était emmêlée. Un vent froid et puissant s’engouffra dans ses cheveux, faisant virevolter quelques mèches soyeuses. Il plissa les yeux. Rien. Il n'y avait rien sur cette terre désolée. Où diable avait-il pu atterrir ?

« Je me souviens quand on l'avait retrouvé, le vieux. Il était pas bien fier. Comme abasourdi. Je crois qu'il n'avait plus toute sa tête. Il parlait d'anneau ou de je ne sais quoi. D'archer. D'elfes et de Nains. Me demandez pas ce que c'est, j'en ai aucune idée. Le pauvre gars. Ça arrive à tout le monde, paraît-il. Mais c'était pas la première fois que j'entendais des choses bizarres. Je me souviens de celui qu'on avait trouvé en plein désert. Il racontait d'étranges choses aussi. Des coffres et des îles. Un Black Pearl et je sais plus quoi encore... »

Quand il avait ouvert les yeux, il n'avait senti que la chaleur et la sécheresse. Sa peau était sèche et son corps réclamait de l'eau. Il ne se souvenait de rien. Pas plus tard qu'hier il voguait sur l'océan. Ou peut-être était-ce il y avait bien plus longtemps ? Il se releva. Tituba. Et s'effondra à genoux dans le sable fin du désert. Peut-être se réveillerait-il. Peut-être l'avait-on drogué ?

« Il était pas beau à voir. Tout sec comme un pruneau. Heureusement qu'on avait de l'eau sous la main avec les gars. Rico et son estomac sac à main se montre parfois utile. Mais je vous dis pas la tronche du mec quand il nous a vus. A croire qu'un pingouin dans le désert c'est pas courant. »

Il releva la tête et passa une patte derrière ses oreilles douces et félines. Son chapeau. Il avait perdu son chapeau. Ses pupilles se dilatèrent pour scruter l'obscurité qui régnait. Son fidèle chapeau. Il s'avança. Ses bottes s'enfonçaient dans la terre meuble de la pinède. Il le vit enfin. Son doux serviteur. Et le plaça sur sa tête dans un mouvement gracieux. Il ne savait pas où il était ni comment il s'était retrouvé là. Le mystère était entier. Mais au moins, l'autre enquiquineur et ses incessantes questions n'avait pas subi le même sort que lui.

« Puis la semaine qui précédait la découverte du P'tit gars et ses dreadlocks, affalé dans le désert, y'a eu cet étrange félin orange à bottes en plein milieu d'une forêt. Oh le fourbe, il a feulé comme un tigre quand il nous a vu. Mais face à mon charisme *hum* insoutenable, il n'a pas pu résister et a embarqué avec nous. »

« C'est bon Commandant, vous avez fini de raconter votre vie ? »

Le Commandant se retourna, scrutant de son air pingouesque son fidèle Petit Gars et sa trognontitude. Il esquissa un sourire.

« En avant mon P'tit. Le monde nous attend ! »

Et il s'avança vers l'avant de la plateforme branlante. Face à eux se mouvait une foule hétéroclite. A croire que les scénarios s'étaient emmêlés et que tous les personnages de tous les univers s'étaient retrouvés pour partager la même galère. Condamnés à vivre ensembles... Pour l’éternité.

Le monde a changé, tout ce qui existait jadis est perdu, car aucun de ceux qui vivent aujourd'hui ne s'en souvient... Il ne reste que la légende de ce qui fut autrefois un monde remplit de créatures fabuleuses et désormais régit uniquement par la race des Hommes. Tout commença lorsque les Elfes quittèrent les rivages de la Terre du Milieu, laissant les rênes de ce monde à l'âge et à la domination des Hommes. Leur nombre diminua, si bien que les derniers représentants de ces sages et respectables créatures se cloîtrèrent dans la cité des elfes sylvestres et la forêt d'Eryn Lasgalen. Le grand roi Thranduil se ferma aux Hommes - jugeant qu'il n'était plus nécessaire à son peuple de se mêler des affaires du peuple désormais dominant- et ces derniers en vinrent à faire d'eux un mythe. De même, les Nains abandonnèrent bien des montagnes de causes naturelles pour la plupart ou par envahissement de leurs cités. Ils demeurent en ce jour encore en activité dans les montagnes bleues et la montagne solitaire, mais leur commerce jadis prospère avec les Hommes s'est tari et limité à quelques villages. Combien sont-ils aujourd'hui vivant sous la terre ? Nous l'ignorons. Des peuples, celui qui connut l'exil le plus terrible fut celui des Hobbits. Poussés à l'exile par des catastrophes naturelles, c'est cependant les Hommes qui finirent par les chasser définitivement de leur Comté jusqu'à ce qu'ils trouvent refuge auprès des Nains des Ered Luin.

Il y a un peu plus de mille ans maintenant, le Rohan perdit ses héritiers royaux, basculant sa régence sous celle de la famille Telcontar, souverains du Gondor. Le nouveau roi décida peu après son accession au trône d'unifier les peuples des Hommes sous une seule bannière. S’ensuivit plus d'une cinquantaine d'années de guerres et de négociations au terme desquelles s'éleva une nouvelle Terre du Milieu et le cinquième âge commença sous ces augures. Chaque région possède désormais sa famille gouvernante soumises aux lois des Telcontar du Gondor. Le commerce est florissant, la paix règne sur ces terres, du moins c'est ce que laissent croire les apparences. L'an mille du cinquième âge signa l'apogée de l'âge des Hommes, un âge d'or comme on le nomme, mais dans les entrailles des grandes familles grondent des envies de grandeur et de reconnaissance, peut-être même de rébellion. Jamais rien n'est fait pour durer en ces terres et cela fait bien longtemps que ce règne ultime a commencé. Une aube nouvelle se lève sur les terres unies. Sous le règne d'un roi qui a banni son propre héritier. Sous le dictat d'une religion fervente qui prêche la peur de toute forme de magie et la longévité étonnante des Telcontar pourraient bien en être...