Pas un pet... de vent [Wako]

Le vent s'était tari depuis de longs moments, déjà, si bien que la Wako s'en trouvait fort dépitée. La fière matelotte cannibale de l'équipage du splendide Bentô sur l'Eau s'en trouvait fort assombrie et dépitée de voir le navire ne pas bouger d'un Iota. Son humeur s'en trouvait assombrie, à plus forte raison lorsque les vivres venaient à manquer. Et pas l'ombre d'un prisonnier à manger par temps de disette! Personne à se mettre sous la dent! Rien! Oh, il y avait bien quelques nouvelles recrues qui pussent faire l'affaire, mais on lui avait formellement interdit de manger ses compagnons d'équipage: à ce qui se disait, ça faisait désordre sur le CV! Alors que d'un oeil sombre, la jeune femme avisait les réserves de riz qui s'épuisaient drastiquement, et balançait sur son épaule son précieux matériel de pêche à la ligne, elle entendit la jeune Alchimiste du navire qui râlait sur sa faim. Sortant des réserves (après avoir soigneusement fermé la porte à clé afin d'éviter tout vol) la cuistot alla s'installer sur le pont dans le vain espoir que quelque chose morde!

Eh bien vous allez devoir ronger votre frein jusqu'au dîner, les vivres sont ra-tion-nés! lança la cuisinière dont le ventre gargouillait tout autant que celui du reste de l'équipage, mais qui, ayant connu quelques disettes, encaissait la nouvelle avec une zen attitude toute olympienne. Après tout, au prochain abordage, il suffirait d'attraper un prisonnier et de le passer au wok.

Littéralement.

Elle lança sa ligne dans l'eau, et attendit, assise en tailleurs sur le rebord du ponton, en équilibre suffisant pour ne pas être désarçonnée par une éventuelle prise.

Une semaine sans vent. Une semaine entière sans le moindre petit souffle pour faire bouger ce maudit rafiot. En temps normal, la promiscuité imposée par la vie à bord ne posait aucun problème à la Wako ; dès qu'elle se sentait trop oppressée, il lui suffisait de grimper sur le ponton ou de se porter volontaire pour grimper au mât et tout allait mieux. Mais ne pas bouger d'un pouce pendant si longtemps, observer les stocks de denrées s'amenuiser peu à peu et supporter les incessantes jérémiades de certains pirates ─ bon sang, est-ce qu'ils se plaignaient eux quand Nyo leur faisait péter l'ensemble de son labo au nez?! ─, commençait à vraiment lui porter sur les nerfs et il n'y avait aucune chance que leur Championne exige qu'ils montent s'occuper de la grand voile.

Le pire, c'était la faim. Jusqu'à présent, ils n'avaient jamais vraiment expérimenté le rationnement et la privation les rendaient tous nerveux. Et influençables. A force de sentir son estomac se tordre sur du vide, la pirate n'envisageait plus le... régime particulier de leur cuistot de la même façon. Oublié le dégoût et la morale, s'il s'agissait d'enfin manger à sa faim. Et de la viande fraîche, avec ça!

« Si la pêche ne donne rien, on pourra toujours bouffer les rats... ou quelques-uns des mousses. »

Elle ne plaisantait qu'à moitié. Non seulement ils auraient de quoi se sustenter mais, en prime, le nombre de bouches à nourrir diminuerait drastiquement.

« A moins que l'un de nos artistes parvienne à nous distraire avec une bonne histoire? »

En disant cela, la Wako se tourna vers leur barde et leur conteuse, étrangement silencieux à présent que leur art aurait pu avoir une autre utilité que celle de vanter leurs exploits dans les tavernes.

Que faire sur un navire à l'arrêt ? Oh, il peut y avoir un tas de choses à faire vous allez m'dire. En temps normal, peut être, mais là non. Sur n'importe quel autre navire dans la même situation que la notre, l'équipage passerait son temps à faire la fête et à manger jusqu'à ce que les choses rentrent dans l'ordre d'elles même, mais là ... vue l'état de nos réserves et le rationnement récemment proclamé, la seule chose qu'on allait pouvoir manger c'était le bois du navire. Personnellement, je n'aime pas le bois, alors je préfère encore m'abstenir quitte à ce que mon bidon se lance dans un solo de bruits incongrus.

Visiblement, je n'étais pas le seul à avoir faim, mes compagnons d'infortune aussi. Certains semblaient toutefois avoir plus de mal à résister que d'autres. Un parfum de cannibalisme flottait dans l'air, parfum que j'aime naturellement, mais ne souhaitant pas terroriser nos jeunes recrues qui effectuent leur premier voyage à nos côtés, je décidais de distraire l'équipage avec quelques notes de musique. D'une des poches de mon futal je sorti une petite flûte à bec, plus proche d'un pipeau en réalité, et soufflait quelques notes pour attirer l'attention. "Allons les gars, ne nous laissons pas abattre ! On en a connu d'autres ma foi ! et des plus dures en plus ... Pas vrai Sam' ?!".

Voyant que le moral des troupes ne remontait pas. Je fis autre chose. Bye bye le pipeau. Je quittais mon perchoir et sautait sur les embardes de tribord. "S'il n'y a pas de zéphir, peut être que l'un d'entre nous devrais faire un vent ... Ca nous ferait avancer !". J'aurai peut-être du me retenir, mais faire un jeu de mot sur la situation était bien trop tentant, et puis bon, si ça permet de détendre un peu l'atmosphère et de penser à autre chose, autant le faire ! Après tout, c'est pas comme-ci on était coincé au milieu de nul part ...

Tout l’équipage constatait la même chose : rien à faire, la faim et l’immobilité ! Assise sur le rebord du bastingage, la cuistot n’avait pour le moment remonté que des algues dont elle n’était pas absolument certaine qu’elles soient comestibles d’ailleurs. Elle aimait bien le sens de l’humour de cette petite qui proposait de manger des mousses, elle aimait bien ! Ah, une bonne mousse d’Aëronauth monté en neige… whoups, erreur de script !
Lorsqu’elle entendit l’idée de permettre à l’alchimiste de faire sauter une partie du bâtiment à coup d’explosif, elle émit un grognement.

« Voyez vous, p’tite dame – elle parlait à Loukoum – il serait mieux que l’on évite de sombrer pour arriver à bon port, le vent finira bien par revenir, et je ne doute pas que nos bardes et conteurs aient d’excellentes histoires. »

Elle eut un petit sourire en coin.

« Conteur qui a d’ailleurs eu le vent qu’il désirait puisque personne ne semble vouloir l’écouter ! Mon pauvre ami ! »

Plaisanter lui coûtait un peu, mais elle s’en sortait mieux que d’ordinaire ! Et puis il resterait du riz bouillit ce soir… peut-être pourrait-elle faire quelque chose de ces algues, sous réserve qu’elles fussent comestibles, bien entendu… mais au pire, s’il y avait un malade, on le tuait, on le mangeait, et … tout le navire y passait, diantre, mauvaise idée !

Tandis qu’une jeune mousse qu’on avait engagée sur un coup de tête (il manquait quelqu’un la veille du départ) venait lui demander si on avait une solution, elle secoua la tête.

« Le vent reviendra bien de lui-même. Et s’il devait s’avérer que c’est un coup de ces maudits Aëronauths, je fais le serment de tous les monter en neige jusqu’au dernier ! »

Soudainement, sa ligne cassa après une forte pression appliquée au filin qui désarçonna la Wako. Poussant un juron, elle bondit de son perchoir et se pencha par-dessus bord. Il y avait quelque chose au fond de l’eau !

Utiliser des explosifs pour faire avancer le navire était peut-être trop risqué mais rien ne les empêchait de les mettre de côté pour leurs prochains pillages, non? Au moins, aider l'alchimiste dans ses travaux leur offrirait une distraction plus que bienvenue... La Wako allait soumettre son idée au reste de l'équipage lorsque Ehawee bondit sur le bastingage, une canne à pêche ruinée en main et un juron des plus imaginatifs aux lèvres.

« Aussi surprenant que ça puisse paraître, j'espère vraiment que tu viens juste de perdre notre dernière chance de repas, lança-t-elle à leur Championne, et que nous n'allons pas devoir - en prime - affronter un monstre marin! »

Ils avaient beau avoir tous besoin d'un peu d'animation, celle-là risquait surtout de sonner leur glas. Affamés comme ils l'étaient, même les Aëronauth n'auraient fait qu'une bouchée d'eux! Mais d'un autre côté, comme l'avait si justement fait remarquer leur conteur, ils en avaient vu d'autres.

« Quelque part, une bête mythique, ça doit nourrir son Wako, non? »

A son tour, elle s'avança vers le bastingage et scruta la surface désespérément calme de l'océan.

*De la bouffe*, voilà ce qui m'est passé par la tête quand on a découvert ce truc au fond de la flotte. On commençait sérieusement à daller dans le coin et j'ai bien peur que si l'on trouvait pas une solution à ce problème vital, on allait devoir se manger les uns les autres ... sauf que je n'ai pas spécialement envie de manger du Wako, on a la peau trop dure pour ça haha.

Alors que je regardais notre championne s'affairer, je me fis la réflexion suivante : si la bête au fond de l'eau est suffisamment forte pour avoir brisé la canne comme pour rire, alors peut-être qu'on pourrait essayer de se servir de la bête pour tracter le bento. Mais encore fallait-il pouvoir capturer la bête ...

La bête ne lâchait pas l'affaire ! Le navire tanguait bien plus qu'à la normale. La bataille faisait rage. Alors que chaque matelot s'affairait à protéger notre moyen de transport, je me rendis compte en fixant l'horizon que l'on avançait légèrement. Sans doute les coups frénétiques du monstre contre le coque nous faisaient-ils avancer, je lançais à mes camarades :" Continuons à la provoquer, on avance ! On avance !"

Même si nous crevions tous de faim et que cette bestiole morte constituerait un énorme capital nourriture, j'avais dans l'idée qu'il valait mieux qu'on la garde en vie un moment, suffisamment pour qu'on puisse quitter cette mer morte et ainsi retrouver la vie en mouvement, le vent et la bouffe à foison !

BWAYAAAAAAH !!

Vous voyez, ça c'était le bruit d'une mousse tombée à la renverse. Et il s’avère justement que...c'était moi. Péniblement, avec de grands gestes désordonnés je me remis debout après avoir trébuché sur les cadavres de Rhum subtilisés la veille depuis la soute. Là comme ça, j'dirai qu'on s'berloque vers la droite, pas vous ? Par la saint-jacques de tante Agapine ! Soit j'ai un mal de cheveux aussi violent que lors de mon bizutage ou alors notre rafiot il est....bancal ?

Je plisse les yeux. Trop d'lumière...c'est ça les caraïbes !
Ils sont tous là, ils font une espèce de bloc là sur l'ponton. Ils sont tous serrés, comme les sardines que je rêverais de manger ! En parlant de manger, mon estomac se mit à danser la conga. Je fis abstraction et m'approchais du groupe des commères. Non loin, j'vois les restes d'une canne à pêche bonne pour la casse. Nouvelle secousse.

"Eh, c'est qui l'merlu qui a essayé d'rapporter Posséidon à bord avec...ça ?"j'désigne l'épave de la ligne cassée net.

La fille à mes côtés, Luna, Lunda j'sais plus trop poussa alors un cri. Je m'penche alors légèrement en avant pour tenter d’apercevoir la bêêêête.

"Vous comptez la r'garder encore longtemps ? Maintenant qu'vous l'avez chatouillé avec votre hameçon bon marché, va falloir continuer..c'est qu'elle réclame, la bestiole ! "